On avait croisé la bloggeuse culinaire Sarah Blieux il y a quelques années, lors d’un déjeuner chez Bouchéry à Bruxelles. Quelques années plus tard, on s’étonne de retrouver la jeune femme, frêle et timide, à l’autre bout du monde, en Corée du Sud, où elle a élu domicile pour un temps, avec dans son coeur déjà l’envie d’y rester, malgré les difficultés à s’adapter à une autre culture. 

Lilloise d’à peine 30 ans, Sarah Blieux est Bruxelloise d’adoption. À 19 ans, son bac d’art plastique en poche, elle a débarqué en Belgique avec la ferme intention d’intégrer une école de photographie, intéressée par la photo studio et la publicité. En 2013, elle crée un premier blog « CrokMou », où elle distille recettes salées et sucrées, plutôt végétales, pour d’abord s’exercer à la photo. 

Sarah Blieux dans un salon de thé de Séoul, le « t.Nomad ». ©SarahBlieux

Une fois diplômée, elle se lance comme styliste culinaire et photographe indépendante, travaillant pour Lidl, Delhaize ou des marques comme Kalios. Mais elle se rend compte que ce métier n’est pas fait pour elle. « Ce boulot était stressant et puis je n’aimais pas faire du fake! », se souvient-elle. Elle se décide alors à embrasser une passion de toujours, la pâtisserie, et entame une formation de trois ans. « J’étudiais un jour par semaine et je passais le reste du temps en entreprise. D’abord chez Charli au centre-ville et puis à la boulangerie Marlière à Saint-Gilles, qui était un peu ma deuxième famille. J’aimais ça mais c’était dur dur, car je ne gagnais que 400€ par mois… » raconte-t-elle tout de même avec nostalgie. 

L’appel de l’Asie

Ce qui l’a poussée à partir? Le besoin de s’éloigner et une forte envie d’Asie. « Je n’avais plus de boulot et j’avais envie de partie en Asie, où j’avais beaucoup voyagé. Chaque fois que j’y allais, je faisais une dépression de six mois au retour… J’ai donc opté pour le visa Vacances-Travail en Corée. C’était moins cher que le Japon et la langue était plus facile à apprendre. Je suis partie en septembre 2019. » 

On retrouve Sarah Blieux à Wangsimni, au nord de Séoul. Dans ce quartier animé, où il y a un restaurant tous les deux mètres, elle a enfin trouvé une chambre un poil confortable, après moultes péripéties… 

Temple coréen. ©SarahBlieux

À son arrivée, la jeune femme logeait dans un goshiwon, un type d’hôtel très « abordable » de Séoul. « J’avais une petite chambre avec un lit, une fenêtre et une douche; la cuisine était commune. Il y avait juste deux plaques, car les Coréens n’utilisent pas de fours. C’était précaire… Pour 10m2, je payais 550€! Et puis je me suis rendu compte que beaucoup de personnes âgées vivaient là, car elles n’avaient pas les moyens de se payer un appartement. En fait, c’est ce qui m’a le plus choqué à mon arrivée en Corée. Pour louer un appartement d’une seule pièce il faut déposer 250000€! D’ailleurs beaucoup de gens entre 35 et 40 ans vivent encore chez leurs parents… Si on ne travaille pas pour une grosse boîte comme Samsung, il est difficile d’avoir un prêt. Et si on bosse dans un resto, ce n’est même pas la peine d’y penser…», se désole Sarah. 

La difficile réalité coréenne

Ça n’a pas été plus facile côté travail. Fraîchement débarquée à Séoul, la jeune pâtissière se met en quête d’un poste dans son domaine, d’abord dans une pâtisserie tenue par des Coréens puis par un Français. « Dans les deux cas, les conditions n’étaient pas acceptables. Ils voulaient utiliser mon image de jeune Française sans que j’aie mon mot à dire. Je devais être là tous les week-ends pour qu’on puisse prendre des selfies avec moi; je devais créer une gamme de pâtisserie… Tout ça pour 7,50€/h avec peut-être un visa à la clé…. » 

Mais voilà, le Coronavirus fait son apparition, les hôtels, où la Française aurait sans doute eu plus de chance, ferment… Elle parvient tout de même à décrocher un job dans un restaurant de livraison vegan, où elle s’exerce même à la pâtisserie.

Vue de Séoul. ©SarahBlieux

C’est alors qu’elle rencontre son copain coréen, Hojae, et décide de rester plus longtemps à Séoul. Elle demande unvVisa d’un an pour étudier le coréen et lance un nouveau blog, « Sijeol » (« époque » en français). « Je souhaite faire découvrir les endroits importants pour les Coréens, la culture de la nourriture, la société fortement marquée par la colonisation japonaise… Il n’y a pas que la K-pop quoi! » 

Végétarienne, voire végétalienne, depuis plusieurs années, Sarah Blieux souhaite aussi faire découvrir des recettes végétales coréennes sur son blog, sans être une Ayatollah: « Quand on travaille dans une pâtisserie, on doit forcément travailler avec des oeufs, du lait… On doit goûter les produits avant de les servir aux clients. Et puis ici, être vegan, ce n’est pas un mode de vie, mais une mode tout court! C’est peut-être aussi dû au fait qu’il n’y a pas beaucoup de place pour l’agriculture dans le pays. Le lait, les oeufs, le fromage sont surtout importés des États-Unis. Ce sont des produits chers et donc de choix. D’ailleurs, dans les restaurants, on sert plutôt du lait de vache que du lait de soja! »

La vie familiale coréenne

Avant de séjourner plus longuement dans le pays du Matin Calme, pour Sarah Blieux, la nourriture coréenne était synonyme de piment. « Avant de venir, je connaissais le kimchi ou le bibimbap, mais grâce à Hojae, j’ai découvert la cuisine familiale coréenne. Une cuisine de partage. Chacun à son bol de riz et on partage des viandes en sauce, et plein de petits plats, les banchan. C’est une cuisine très saine à base de feuilles, de racines… » Une cuisine où les aliments sont considérés comme des médicaments. Avec la racine de bardane par exemple, la belle-mère de la jeune Française prépare un délicieux banchan aux vertus dépuratives. 

« En Corée, on ne te demande pas comment tu vas mais est-ce que tu as bien été aux toilettes! », précise-t-elle en riant. D’ailleurs sur les conseils de son copain, Sarah Blieux a déjà adopté les us locaux. Ginseng rouge le matin ou jus d’oignon rouge pour les bienfaits du corps. Un mode de vie sain au quotidien, pas toujours appliqué par les jeunes générations… « Nous ne sortons pas beaucoup, mais je me souviens encore de la première fois où j’ai rencontré les meilleurs amis de mon copain. On a commencé à 19h en mangeant des tacos et en buvant du soju dans le quartier cosmopolite d’Itaewon et on a changé d’adresse quatre fois au cours de la soirée, toujours pour boire et manger jusqu’à 8h. A 3h on a atterri dans un room, un type de resto avec des boxs fermés, pour manger du poulet frit, du tofu et du kimchi… À 6h, ils avaient encore envie de nouilles et de boire. Ici, la culture de l’alcool est impressionante. Avant je ne buvais pas mais je me suis mise au soju, ici c’est une véritable institution! »

Banchan avec les racines de bardane. ©SarahBlieux

La barrière de la langue

Après ses études de coréen, Sarah Blieux pense qu’elle pourra enfin se lancer avec succès sur le marché du travail. « Ici, ils préfèrent engager un Coréen à cause de la barrière de la langue. Et puis je commence à m’intéresser aux fermentations coréennes et ce qui pourrait s’appliquer en pâtisserie. J’aimerais notamment utiliser le starter du makgeolli pour créer un levain et faire un pain au goût typiquement coréen, faire fusionner la pâtisserie française et la pâtisserie coréenne. »

En tout cas, Sarah Blieux se sent déjà chez elle en Corée. Et si parfois la France et la Belgique lui manquent — et avec eux les fromages au goût puissant, Maroilles et Maredsous en tête et la variété des fruits —, elle compte bien rester! « Ici, je me sens en sécurité comme jamais. Et c’est une culture que j’aime beaucoup, et que je veux découvrir jusqu’au bout. »

Hongdae, un quartier animé de Séoul. ©SarahBlieux

Kimchi, tradition millénaire

Autre moment privilégié auquel Sarah Blieux a pu assister, c’est le Gimjang, le jour où les familles coréennes préparent leur kimchi — cet aliment fermenté très sain qui fait fureur dans le monde entier! — pour l’année entière. « La première fois que j’ai rencontré ma belle-famille, c’était pendant la journée du kimchi. On devait le préparer tous ensemble. La maman ne s’attendait pas à ce que j’ai des tatouages, mais ils ont été vachement ouverts. Assis autour d’un grand bac en plastique on a étalé la sauce à base de gochujang sur le choux pendant 4h. A ce moment-là, je ne parlais pas du tout coréen, mais ils m’ont montré les gestes à faire. Et puis ils sont tellement expressifs! Les Coréens ont parfois l’air froid, mais ils sont très avenants, très fiers de pouvoir expliquer leur histoire, leur culture. »

Une culture culinaire notamment, encore très vivante. « Devant chez moi, il y a encore des petites maisons habitées par des personnes âgées qui n’utilisent pas de frigo mais conservent leurs fermentations dans de pots en terre cuite, appelés Onggi. Tandis que sur les marchés, on vend en vrac de la pâte de soja séchée ou du gochujang artisanal », raconte la jeune femme.

Un marché à Séoul. ©SarahBlieux

Kongguksu, recette coréenne estivale

C’est Hojae, le copain Coréen de Sarah Blieux, qui lui a appris cette recette traditionnelle dont elle raffole. On consomme le Kongguksu généralement l’été en Corée du Sud. Il s’agit d’un plat de nouilles de blé servies dans un bouillon de lait de soja froid. « Un plat très rafraîchissant! », commente la jeune femme.

Ingrédients (pour env. 4 pers.):

500g de graines de soja, 1l d’eau, 30g de pignons de pin, concombre, carotte, 2 oeufs durs, 400g de nouilles fines de blé sōmen ou soba, graines de sésame, sel.

Préparation:

Faire tremper les graines de soja dans de l’eau froide durant 4h. Égoutter et rincer de nouveau à l’eau froide.

Mettre ensuite les graines de soja dans une marmite avec de l’eau et faire bouillir environ 15-20 min, jusqu’à ce que les graines soient tendres. Retirer du feu et égoutter.

Placer ensuite les graines dans un grand bol d’eau froide et malaxer afin d’enlever la peau du soja. Égoutter et laisser de côté.

À l’aide d’un robot, mixer 750g de soja cuit avec 1l d’eau, un peu de sel, les pignons de pin et 1 c.à.s. de graines de sésame. Mixer jusqu’à ce que le bouillon soit ni trop épais, ni trop liquide. Il doit être bien lisse. Réserver au frigo.

Couper un peu de concombre et de carotte en julienne. Réserver.

Cuire les nouilles quelques minutes dans de l’eau bouillante. Égoutter puis passer sous l’eau froide.

Dans un bol à soupe, verser une à deux louches de bouillon de soja. Ajouter ensuite une portion de nouilles froides au centre du bol. Déposer un peu de julienne de légumes au-dessus des nouilles, puis ajouter un demi oeuf dur. Saupoudrer le tout de quelques graines de sésame. 

Déguster bien frais!

Le Kongguksu ©SarahBlieux

Trois adresses à Séoul

Pour déguster le fameux samgyeopsal ou barbecue coréen: 땅코 참숯구이

Sarah aime ce « restaurant typique et convivial, où l’on se retrouve autour d’une table pour y déguster du porc grillé au charbon de bois. C’est le seul moment, en dehors du travail, où les Coréens ont tout le temps le sourire. Il y a une bonne ambiance et on y découvre ainsi les soirées entre amis et collègues, typiquement coréennes. »

Pour une cuisine végétarienne bouddhiste: Oh Se Gae Hyang – 오세계향

Restaurant végétalien où l’on découvre la cuisine coréenne traditionnelle bouddhiste. « La religion bouddhiste est encore très importante en Corée du Sud et les plats mangés par les moines sont normalement végétaliens. On y retrouve de la cuisine coréenne classique, avec les banchan (반찬) et le bibimbap (비빔밥). Mais aussi des plats tels que le Jajangmyeon (자장면), le Kal-guksu (칼국수) ou encore le Tangsuyuk (탕수육 ») », explique Sarah.

Pour le Hotteok, le pancake coréen: 삼청동호떡집

« On trouve différentes sortes de Hotteok, à base de différentes farines. Cette échoppe vends des Hotteok frits farcis au miel/graines, aux légumes, ou à la viande. Il y en a pour tous les goûts! À déguster bien chaud tout en admirant les jolies maisons traditionnelles du coin », recommande Sarah.

Les fameux hotteok! ©SarahBlieux