La tension est palpable au Centre des expositions de Lucerne en ce 28 septembre. Bientôt, débuteront les 11es Swiss Cheese Awards, un événement bisannuel organisé par les artisans suisses du fromage (Fromarte) pour mettre en avant les fromagers suisses, mais aussi la diversité de l’héritage culturel fromager du pays.
Cette année est celle de tous les records! De participations d’abord. En effet, quelque 965 fromages sont en compétition. Répartis en 28 catégories, ils seront évalués par près de 160 membres du jury venus du monde entier, en majorité des experts de la branche fromagère mais aussi des consommateurs, des journalistes… Et l’on prend ici les choses très au sérieux!
Après avoir enfilé chapeau et tablier, on dégaine son couteau suisse: c’est l’heure de goûter… Chacun prend sa place dans la catégorie qui lui a été attribuée.
Le Gruyère d’alpage, le roi des fromages
Ce sera en ce qui nous concerne le Gruyère d’alpage. AOP parmi les plus prestigieuses, produite en Suisse romande aux alentours de la petite ville de Gruyères, celle-ci impose un cahier des charges d’une grande rigueur. Répartie sur 52 alpages, l’appellation représente seulement 1,7% de la production totale de Gruyère suisse. Et l’on comprend tout de suite pourquoi… La bonne dizaine de Gruyères d’alpages AOP qui s’alignent sur la longue table paraissent tous identiques et semblent de très grande qualité.
Le jury de cette table est composé d’un ingénieur qualité suisse qui travaille pour le Tilsit, un autre fromage suisse, d’une productrice artisanale de fromage de brebis suisse, d’un représentant de la plus grande société productrice de fromages en Autriche, Berglandmilch, de Sarah Furno, productrice du Cashel Blue, un fromage bleu fermier irlandais, et donc d’une journaliste. Le jury met tout de suite en garde la non-professionnelle de la bande! Il faudra juger les Gruyères en fonction leur apparence, de leur goût et de la texture de la pâte en leur attribuant des notes de 1 à 5. Mais il ne s’agit pas de donner une préférence, plutôt de voir si le fromage remplit les critères de qualité de sa catégorie. C’est ce que les professionnels appellent « la taxation du fromage ».
Un contrôle qualité rigoureux
Avant sa commercialisation, le fromage suisse est soumis à un contrôle de qualité sévère pour que seuls les produits irréprochables soient vendus. Les jeunes meules de fromage sont ainsi pesées par un expert à la fromagerie et classées en fonction de leur qualité. Ensuite, elles sont transportées chez l’affineur. D’autres experts taxent alors le fromage en fonction des mêmes critères que ceux du concours. Le total des points attribués à un fromage détermine les primes de qualité dont bénéficieront aussi bien le paysan que le fromager. Des primes stimulantes pour maintenir le niveau de qualité! Les fromages qui, eux, n’auront pas obtenus suffisamment de points, seront fondus, voire éliminés.
Durant le concours, on observe, on touche, on sent, on goûte… La croûte, de couleur brunâtre et granuleuse, ne doit pas présenter de moisissures ou être collante au toucher, ce qui signifierait que le fromage est resté trop humide parce ce qu’il n’a pas été régulièrement retourné ou frotté. Quelques petits trous — ils peuvent apparaître lors de la maturation — sont tolérés à la surface. Le goût doit être à la fois complexe et équilibré, le Gruyère doit aussi offrir une belle longueur en bouche. Lorsqu’on ferme les yeux, on peut presque imaginer ces vaches qui passent l’été dans les montagnes et se nourrissent d’une immense variété de fleurs et d’herbes alpestres. Ce sont elles qui vont donner cette incroyable richesse aromatique au lait.
Un gagnant à l’unanimité
Le Gruyère ne doit en tout cas pas être trop salé ou trop amer, mais une pointe d’acidité est la bienvenue. Certains Gruyères sont même étonnants, avec des notes fumées, transmises lors de la cuisson du lait cru au feu de bois dans un chaudron en cuivre, dans un laps de temps maximal de 18h après la traite. La pâte doit avoir une surface fine et légèrement humide. Elle est moelleuse, moyennement ferme et peu friable, tandis que la teinte va de l’ivoire au jaune, en fonction de la nourriture des vaches.
Malgré la difficulté, les palais vite saturés, un Gruyère d’alpage AOP au goût particulièrement complexe est élu à l’unanimité. On saura plus tard, le concours se faisant évidemment à l’aveugle, qu’il s’agit du fromage de Maurice et Germain Treboux, de l’alpage de La Bassine, dans le parc du Jura vaudois. Un fromage qui aura même l’honneur d’être ensuite élu « Swiss Champion 2018 » par le « super jury », constitué uniquement d’experts cette fois.
La diversité fromagère helvète
Si le Gruyère d’alpage AOP est synonyme d’excellence — il est souvent désigné Swiss Champion —, il est aussi le plus influent des fromages suisses, car il représente une véritable manne économique pour le pays (c’est la plus grande AOP suisse en termes de tonnage) et il est à l’origine de la renommée de la culture fromagère helvète dans le monde. Il s’agit ainsi du fromage suisse le plus importé en Belgique.
Suivent ensuite l’Emmentaler AOP, la raclette suisse, l’Appenzeller, la Tête de Moine AOP — un sublime fromage né dans l’abbaye de Bellelay dans le Jura suisse et qui a la particularité unique d’être raclé à l’aide d’une girolle pour être présenté en rosettes — et l’excellent Etivaz (la plus petite des AOP suisses, avec une production de 450 tonnes par an). Mais la Suisse ne vit pas de l’export, car ses fromages restent très chers à importer. C’est une des raisons pour lesquelles nos fromagers vont par exemple préférer importer un Vacherin Mont-d’Or français (au lait cru) plutôt que la version (au lait thermisé) du même du même produit, fabriquée dans le Jura Suisse et tout aussi excellent.
La Suisse, c’est donc bien plus que le Gruyère! Comme on a pu s’en rendre en compte en parcourant les allées du Swiss cheese Awards, où étaient présentés pas mal de produits plus récents, comme les fromages bleus, dont le savoir-faire est encore à perfectionner, ou des innovations parfois farfelues, comme un Swiss cheese kekab…
Plus de 600 fromages
Cette diversité, le public a pu y croquer à pleine dents lors d’un marché fromager exceptionnel qui avait lieu pendant trois jours à Lucerne, fin septembre, pendant les Swiss Cheese Awards. La Suisse compte en effet plus de 600 sortes de fromages. Chaque région, chaque vallée presque possèdent une spécialité fromagère traditionnelle, avec son goût caractéristique et bien souvent unique.
Parmi les fromages moins connus et qui valent la découverte, citons le Sbrinz AOP, produit en Suisse centrale, dans la région de Lucerne justement. Il s’agit d’un fromage à pâte extra-dure affiné au moins 18 mois. Produit en Suisse depuis plus de 500 ans, c’est le plus ancien fromage du pays. Il serait l’ancêtre du parmesan italien. Il est vrai que son goût corsé et sa texture friable sont assez similaires.
On peut également citer le Berner Alp-und Hobelkäse AOP, fromage d’alpage bernois affiné de 4 mois et demi à 12 mois. Racé et épicé, il est souvent débité en copeaux (rebibes) présentés en rouleaux. Tandis qu’on fond pour la délicatesse crémeuse d’un Vacherin fribourgeois AOP, produit comme son nom l’indique dans le canton de Fribourg, ainsi que dans quelques communes bernoises. C’est lui qui donne son onctuosité et son goût à la fondue suisse, mais il ne faut pas hésiter à le consommer tel quel.
Où trouver des fromages suisses en Belgique?
- Chez Julien Hazard à Uccle, beau choix également. Il utilise notamment du Sbrinz dans son mélange pour fondue.
- Chez Rob The Gourmets’ Market à Woluwe-Saint-Pierre, on trouvera une vingtaine de variétés de fromages suisses.
- A la fromagerie Le Birous à Liège, Philippe Moreau, membre du super jury des Swiss cheese Awards depuis trois ans, propose un bel assortiment.