Cuba n’a pas vraiment bonne réputation en matière de gastronomie. Mais il faut savoir que les chefs doivent faire face à de grandes difficultés pour créer les plats de la nouvelle cuisine cubaine ?
« Cuisiner à Cuba, c’est comme être en guerre ! » Les propos du chef Dayron Avilan semblent incongrus… Surtout que, attablé au « Otramanera », un paladar ouvert en août 2014 près de la « Casa de la Musica », dans le quartier de Miramar à La Havane, on se trouve dans un restaurant chic à l’ambiance contemporaine, où l’on déguste une cuisine raffinée hispano-caribéenne. On est à mille lieues de l’image que l’on se fait du restaurant cubain…
Après avoir savouré le canard confit de Dayron Avila, servi avec une crème de papaye et une réduction de vin rouge (photo ci-dessous), on comprend mieux le sens de ses propos… « J’ai mis trois mois pour trouver soixante canards… J’ai supplié l’éleveur, qui les destinait à être sacrifiés durant les rites de la Santeria, la religion afro-cubaine. »
L’on apprend aussi qu’à l’exception du porc, du riz, des haricots et les légumes-racines (vianda), tout est difficile à trouver à Cuba. Il n’existe pas de marché de gros pour les professionnels. Si bien que le restaurant est obligé d’engager une personne à temps plein pour faire le tour des marchés de la ville !
Une île sans poisson !
Même constat du côté de Pedro Julio Hernandez (photo ci-dessous), chef de 29 ans au « Doña Eutimia », paladar plus traditionnel ouvert en 2012 au coeur de la La Habana Vieja et déjà devenu une institution. » Ce serait un rêve d’avoir tous les produits à disposition. Cuba est une île mais nous n’avons pas de poisson ! Hier, nous n’avions pas de crevettes… Parfois nous ne trouvons pas d’huile. Mais un bon cuisinier, c’est celui qui résout les problèmes. A l’école de cuisine, c’est l’une des premières choses que l’on apprend : remplacer les produits dans les recettes . »
C’est ainsi que du sucre se substitue à des raisins secs dans son excellent picadinho a la habanera ou que la classique ropa vieja (bœuf effiloché) est préparée avec de l’agneau, au lieu du bœuf, plus compliqué à dénicher…
Sur les étals des marchés de La Havane, on n’aperçoit en effet ni bœuf, ni poisson. Les Cubains disent de ces produits qu’ils sont perdidos (perdus). Pour le poisson, personne ne semble avoir d’explications. Un manque de pêcheurs professionnels ou d’équipements ? Des exportations trop importantes ? Le dicton dit : » Apprend de Cuba mais n’essaye pas de la comprendre… »
Pour le bœuf et par extension le lait – que l’on trouve surtout en poudre à La Havane -, c’est plus clair. Dès 1959, Fidel Castro a bien tenté de révolutionner l’industrie laitière de l’île, en introduisant l’ubre blanca, une vache issue du croisement entre une holstein et un cebu autochtone, mais sans y parvenir.
Tandis que la « période spéciale » – de 1989 à 1991, le bloc soviétique s’effondre et Cuba ne reçoit plus les subsides alimentaires dont elle a tant besoin de son grand frère communiste… – a eu des répercussions. Notamment sur les bœufs qui ne pouvaient plus être nourris de céréales soviétiques importées.
Au marché noir
Pour pallier le manque d’ingrédients sur les marchés officiels et assurer la continuité du service, la plupart des restaurants privés sont obligés de se fournir » por la izquierda » (au marché noir), risquant la fermeture du restaurant et des amendes sévères.
Mais bien souvent, pas le choix pour se procurer l’ oro rojo (l’or rouge), le boeuf, ou la langouste, monopoles d’Etat. » L’un des problèmes majeurs des paladares est l’inexistence d’un marché de gros, où l’on pourrait trouver plus facilement des produits mais aussi des verres et d’autres matériels » , souligne Enrique Núnez, propriétaire de « La Guarida », l’un des plus beaux et des plus célèbres paladares, ouvert dès 1996. Un restaurant fréquenté par les stars internationales – Madonna y a fêté ici son 58e anniversaire en août 2016.
« On ne sait jamais ce qu’on va trouver sur le marché officiel, renchérit Enrique. Parfois, il faut stocker de la marchandise 2 à 3 semaines à l’avance. Et ce n’est pas possible pour tous les restaurants. Le problème de Cuba, au-delà du blocus américain, c’est le blocus interne ! »
La révolution dans les assiettes
Malgré toutes ces difficultés, on mange aujourd’hui bien mieux à Cuba qu’il y a 10 ou 20 ans. Les lois ont été assouplies, ainsi que le blocus américain (en place depuis 1962), mais c’est surtout l’afflux incroyable de touristes qui tire la gastronomie cubaine vers le haut. Les excellents et créatifs tacos de patate douce blanche au marlin fumé que l’on déguste à « La Guarida » en sont un excellent exemple.
» Le grand mouvement dans la cuisine cubaine est dû au fait que l’on a autorisé les gens à avoir leur propre affaire. On sent aussi une plus grande concurrence, l’apparition de bons restaurants nous poussant à se dépasser ! » , explique Enrique Núnez.
Mais pour relever le défi d’une gastronomie cubaine de qualité, le gouvernement devra aussi faire évoluer son agriculture, qui souffre elle aussi du blocus. Les machines agricoles en provenance des Etats-Unis sont interdites, les pesticides aussi. Cuba bénéficie du coup d’une des agricultures les plus propres. Il s’agit par exemple de l’un des rares pays au monde à ne pas avoir de problème avec les abeilles. Le miel cubain est devenu la 4e exportation agricole de l’île.
Le chef du « Otramanera » Dayron Avilan est convaincu que les choses sont en train de changer à Cuba. Avec notamment des agriculteurs éclairés comme Fernando Funes, qui a développé à la « Finca Marta », une exploitation agro-écoloqique moderne, persuadé que Cuba peut devenir autosuffisante. Au restaurant, le chef profite notamment de sa roquette – un des nouveaux légumes que l’on voit apparaître sur les tables cubaines. Mais le chemin sera encore long… Viva la revolución culinaria !
Le saviez-vous ?
A Cuba, le libreta, le système de rationnement, est toujours en place depuis 54 ans… Le principe de ce livret est de garantir à chaque ménage une certaine quantité de produits de première nécessité (riz, haricots, sucre…) à un prix extrêmement bas.
Lancé en 2015 par une bande de foodies motivés, le site Cubapaladar.org répertorie les nouveaux restaurants de Cuba et en propose des critiques basées sur des critères objectifs.
Vous saurez tout sur les restaurants cubains
A Cuba, il existe aujourd’hui trois types de restaurants : ceux d’Etat , les coopératives et les privés ou p aladares . Mais fut un temps où il n’y avait sur l’île que des restaurants d’état. Dans ces derniers, à quelques exceptions près, la nourriture et le service sont souvent de piètre qualité.
Faisant partie des 311 réformes décidées par Raul Castro en 2011 pour libéraliser l’économie, une partie des restaurants d’état sont en train d’être convertis en coopératives. Le gouvernement souhaite ainsi se concentrer sur des activités plus stratégiques pour le pays tout en espérant que les « coopérateurs » offriront de meilleures prestations à leurs clients.
Le type de restaurant où l’on mange le mieux à Cuba est le paladar . Peu fréquenté par la majorité des Cubains, qui n’ont pas vraiment les moyens de s’y attabler, celui-ci est en plein boom, suite à l’assouplissement des lois cubaines et à l’afflux des touristes. On compte aujourd’hui 500 paladares à La Havane et 1600 dans le pays.
Depuis 1995, ce type de restaurant est devenu légal mais doit suivre des règles très strictes : payer une taxe mensuelle, n’être ouvert que dans des habitations privées, avoir un personnel exclusivement composé de la famille du propriétaire, un nombre de convives limité à 12 personnes, pas de bar… Ils sont également obligés de se fournir dans les très chers magasins tenus par l’état ou dans les petits marchés de producteurs.
Mais hors de question de vendre du bœuf, des crevettes ou des langoustes, ces produits, monopoles d’état, sont réservés aux restaurants officiels et à l’exportation. En 2010, Raul Castro a assoupli ces règles. Les paladares peuvent désormais, entre autres, accueillir jusqu’à 50 personnes et engager du personnel externe.