Plusieurs rituels rythment l’année. D’abord en mai — tradition belge oblige! —, on attend patiemment que réapparaisse au jardin le tapis d’aspérule odorante, qui hume bon la coumarine, pour préparer le Maitrank ou Maiwein. Spécialité de la région d’Arlon, cette « boisson de mai », est obtenue par la macération d’inflorescences d’aspérule, avec des tranches d’orange, du sucre et du cognac dans du vin blanc de Moselle luxembourgeoise. On obtient ainsi un vin muté, floral, qui fait merveille à l’apéro, surtout accompagné d’une tranche de pâté gaumais…
Plus tard, dès le mois d’octobre, on parcourt les chemins de campagne pour récolter des prunelles sauvages. Après les avoir piquées avec une aiguille, on les fait macérer dans du gin. Ensuite, on ajoute un sirop de sucre et voici ce fameux sloe gin, spécialité très British!
D’une année à l’autre, on aura aussi fait de nouvelles expériences, testé un vin de noix ou de camomille, ou, ce coup-ci, un karinshu, une liqueur japonaise à base de coings et de shochu (ou de la plus courante vodka)…
Avant de s’y mettre
Ah les joies du fait maison! Avec le confinement, de plus en plus de gens se mettent à faire du coulis de tomates, des confitures, des légumes lacto-fermentés, mais aussi des alcools et des liqueurs. Dans les quincailleries, pots, joints en caoutchouc et autre matos indispensables sont d’ailleurs souvent en rupture de stock…
Pour aider les autres à , voici venu un joli opus aux faux airs de grimoire, paru fin de l’année dernière aux Editions Hachette: Alcools et liqueurs maison de la journaliste française Anne-Laure Pham (cf. encadré). Un livre qui donne envie de mettre le turbo et de se lancer dans les préparations les plus variées, des liqueurs maison à l’hydromel, en passant par les bitters. Car Anne-Laure Pham guide de manière très pratique le dilettante, en y ajoutant ce zeste de folie et d’humour qu’on lui connaît bien.
Si certaines boissons, plus complexes (bière, cidre…) demandent quelques investissements (cuve de fermentation, densimètre, barboteur…), d’autres (vins aromatisés, liqueurs) requièrent surtout une bonne réserve d’alcools (vodka, eau-de-vie, gin…).
Petit truc pour les Belges, dès la réouverture des frontières, il faudra aller faire le plein d’alcool à plus de 90 degrés au Luxembourg, où il est beaucoup moins cher que chez nous… Comme le précise Anne-Laure Pham dans son livre, il n’y a rien de mieux que l’alcool fort pour extraire la saveur des ingrédients macérés!
On démarre molo!
On suivra surtout avec attention les saisons, pour cueillir au bon moment les ingrédients sauvages ou du jardin, qui serviront dans nombre de préparations. Fleurs de pissenlits pour le vin de pissenlit, feuilles de frênes pour la frênette, ou encore des fruits rouges pour des liqueurs colorées et gourmandes. Et après avoir fait le plein d’épices, on se lancera dans le vermouth
On tentera aussi certaines liqueurs connues, ne serait-ce que « pour s’affranchir de leur version industrielle trop riche en sucre » et qui sont de simples macération, comme la liqueur de café par exemple — à nous le cocktail White Russian! On enchaînera avec une liqueur aux noyaux d’abricots, qui rivalisera sans aucun doute avec un Amaretto, voire avec un pastis — au contraire de la France, en Belgique, on commercialise encore de l’anéthol, qui donne cet aspect laiteux au pastis. Ou on se laissera séduire par ce « 44 », une liqueur à base d’eau-de-vie de fruits, d’orange et de café très raffinée, qui lui a été livrée par Florence Carbonnel, une instit’ quadra installée dans le Tarn et toquée d’alcools maison, dont l’autrice du livre dresse le portrait.
Dans ce livre qui fourmille d’idées, on aime en effet ces portraits de passionnés croisés lors de reportages et ces anecdotes, tantôt intéressantes, tantôt amusantes, voire les deux, qu’Anne-Laure Pham distille au fil des pages. Vous le saviez, vous, que tout au long de leurs périples, les troupes romaines confectionnaient des vins aromatisés avec les fruits récoltés en chemin?
On fait le grand saut?
Si le livre offre une première approche et quelques recettes de base pour réaliser du cidre, de pommes ou poiré, et même des bières de différents styles (Saison, Vienna Lager, English IPA…), la nécessité de s’équiper — même si c’est à hauteur d’envie — et l’obligation d’une hygiène plus-que-parfaite pour obtenir de bons résultats réservent ces boissons aux plus aventureux…
Mais qu’à cela ne tienne, ce charmant grimoire contient déjà tellement de merveilles qu’on aurait tort de s’en priver! Tiens, on louche déjà sur ce punch du placard, à base de gin, de jus de pomme, de Chartreuse, de miel…
« Alcools et liqueurs maison », publié par Anne-Laure Pham aux éditions Hachette (128 pp., env. 25€).
Anne-Laure Pham, femme d’alcools
Passée par L’Express, Europe 1, L’Obs…, Anne-Laure Pham, basée à Nantes, a aussi cofondé avec trois amies Les Camionneuses, une agence événementielle food et un espace de cuisine partagé à Paris (18e) et à Vincennes. Mais cette journaliste est aussi fondue d’alcools et de spiritueux, qu’elle l’est de bonne bouffe! Avant de signer Alcools et liqueurs maison, elle était en effet déjà co-autrice, avec Elisabeth Pierre et Melody Denturck, de Bièrographie et autrice de Gin Lovers, toujours chez Hachette (Vins).`
Pour Anne-Laure Pham, s’intéresser aux spiritueux, c’est avant tout se pencher sur un sujet injustement délaissé. « On a une image caricaturale des amateurs d’alcools forts. Des gens ivres ou des gens riches, le cigare en bouche et le whisky à la main! C’est un sujet qu’il faut démocratiser. Comme dans Bièrographie, il s’agissait aussi d’épousseter un paysage daté et de le rendre plus actuel. Les alcools maison, c’est beaucoup de recettes qui reflètent des usages locaux et il y a peu d’ouverture sur le monde… », explique cette passionnée.
En mode pratico-pratique
Dans son ouvrage paru chez Hachette, donc forcement très pratique, l’autrice parvient à insuffler la vie, avec des expériences qui sentent le vécu et, toujours, une bonne dose d’humour. Des langes de bébé recyclés en étamines au limoncello citron vert « au goût de lave-glace ».
« En général, dans les livres, on ne dit pas qu’il faut du matériel, de l’espace pour tout stocker. J’ai démarré mes expériences dans un studio parisien de 30 m2, je sais de quoi je parle! On a toujours l’impression que les gens qui écrivent ce genre de livres sont suréquipés… Je raconte les choses de manière plus libre. C’est un livre ancré sur les réalités du quotidien, qui parle de mes ratés aussi. »
Ce raté, c’est l’histoire de sa première bière, qu’elle raconte en toute modestie. Avec tout de même le soutien de ses amis. « C’est simple, il suffit de dire que c’est fait maison à des amis pour qu’ils trouvent ça ouf! Parmi les bénéfices du confinement, il y a eu ça. La cuisine a pris un essor de fou, toutes les autres choses faites maison aussi: les alcools, les produits ménagers… Il y a cinq ans encore, quand je parlais de lessive maison, on me regardait les yeux grands comme des soucoupes… », se souvient Anne-Laure Pham.