Ce lundi matin, avec quelques semaines de retard, le guide Michelin dévoilait son palmarès 2021. Un palmarès très centré sur le nord du pays, qui gagne un trois-étoiles ( Zilte à Anvers), deux deux-étoiles et sept étoilés. Contre seulement trois nouvelles tables étoilées en Wallonie… Inspecteur en chef du guide Michelin Belux, Werner Loens feint de s’étonner quand on le félicite pour ce très beau « Michelin Flandre 2021 »… « Ah bon? Moi, je vois dans la sélection une cheffe wallonne récompensée ( La Table de Manon prix du meilleur jeune chef à Durbuy, NdlR) , mais aussi Attablez-vous à Namur , Lettres gourmandes à Montignies-Saint-Christophe et Le Pré des Orcades à Spa, assez loin dans la province de Liège. On a aussi travaillé en Wallonie…. En termes d’étoilés, c’est normal qu’il y en ait plus en Flandre. C’est une question économique et touristique. La Wallonie est une région plus touristique, les restaurants servent donc plutôt le tourisme. Alors que les restaurants d’affaires sont plutôt en Flandre. C’est une réalité économique… », se défend-il.

Une année presque normale pour les inspecteurs

Contre toute attente, le guide Michelin 2021 a décerné une troisième étoile à Viki Geunes au Zilte à Anvers. Et ce malgré la crise du Covid et la fermeture des restaurants pendant de nombreux mois… « Un trois étoiles, c’est un travail de longue haleine. LeZilte de Viki Geunes, cela fait sept ans qu’il est dans nos cartons. On le suit avec plusieurs dossiers chaque année. Nous sommes retournés voir nos dossiers des sept dernières années; on a tout lu, tout analysé. Et en 2020, on a su y aller quatre fois »explique M. Loens.

Lequel précise que la campagne 2020 n’a en fait pas été tant impactée par la crise du Covid: « On a travaillé normalement de novembre 2019 à mars 2020, puis de juin à octobre. Mes collègues inspecteurs et moi avons pris nos congés durant le confinement et on a bossé en été. » Et malgré les restrictions de voyages, des inspecteurs italiens, anglais et allemands ont pu venir sillonner les routes de Belgique pour certifier certains choix, tandis que M. Loens a, lui, bossé en Espagne, au Portugal, en France et en Italie. « C’était très compliqué quand il y avait des zones rouges. On a dû donc être très flexibles. »

Des conséquences à long terme

Le guide Michelin 2021 ne reflète pas encore les conséquences de la crise du Covid-19. Malgré la fermeture remarquée de questions restaurants étoilés, comme Le Moulin hideux à Noirefontaine ou The Glorious à Anvers. « J’ai été étonné en juin-juillet, quand on a pu retourner au restaurant, de voir que la plupart avaient rouvert. Il faudra voir pour la suite. Ce confinement-ci est plus long et aura des conséquences plus graves, je le crains… », prédit l’inspecteur.

Pour autant, M. Loens n’est pas inquiet pour l’avenir des restaurants gastronomiques. « Plus que jamais, on a besoin de sortir manger au restaurant. Mon fils de 20 ans va manger au resto avec ses copains, alors que ce n’était pas notre cas… Je crois que la restaurations a de beaux jours devant elle. Il faut juste espérer qu’il n’y aura pas trop de faillites. C’est dramatique pour tous ces jeunes gens s’ils ne peuvent pas rembourser leurs dettes…. »

Si la crise économique risque de succéder à la crise sanitaire, pas question en tout cas pour le guide rouge de lorgner sur les adresses « Pop » du Gault&Millau par exemple, plus abordables. « Pour faire de la bonne cuisine, il faut des bons produits, qui coûtent chers… Faire de bonnes choses pour 39€ (limite haute pour obtenir un Bib gourmand, NdlR), c’est déjà difficile pour le restaurateur; à 25€, il ne peut pas vivre… Notre stratégie future, ce sera de rester sur le local, mais nous sommes devenus un guide mondial. Pour aller manger partout, je ne vous cache pas qu’on va resserrer la sélection sur des restaurants qui en valent vraiment la peine et font de la très bonne cuisine. Les snacks, ce n’est pas notre core-business », explique l’inspecteur, en précisant que le Michelin dévoilera prochainement une nouvelle édition Moscou. « On continue a se développer au niveau mondial, avec trois ou quatre nouvelles villes dans le monde chaque année. On veut d’imposer comme un acteur mondial des bons restaurants. »

Vers le tout digital

Et ce en changeant de business-model. Alors que les guides papier ne se vendent plus vraiment, Michelin mise tout sur le digital, en rendant désormais gratuite son application iOS Michelin Worldwide, qui recense l’ensemble de la sélection du guide partout dans le monde. « Quand mon fils de 20 ans part au Portugal, si je lui donne un guide, il me dit qu’il n’en a pas besoin, qu’il a son smartphone. Il faut se projeter dans l’avenir, dans le tout digital. On se pose même la question de savoir s’il faut encore faire des guides papier. Sur l’application et le site, on peut réserver les restaurants et les hôtels. C’est ça le nerf de la guerre, qui rapporte de l’argent. Et on a besoin car ça coûte cher de faire un guide. Quand l’application était encore payante, on en vendait de plus en plus, mais si on peut la proposer gratuitement, on le fait », commente Werner Liens.

Si quelques guides seront toujours imprimés, pour les collectionneurs ou pour le be-to-be, à termes, le Michelin ne sera plus vendu sous forme papier grand public. « On s’en fiche de savoir combien de guides on vend, avoue l’inspecteur. Ce qu’on voit, c’est que, partout dans le monde, dans la presse, quand on parle d’un bon restaurant, on parle d’un étoilé Michelin. C’est ça qui compte… »

Verdir l’image du Michelin

La disparition des guides papier s’inscrit, selon M. Loens, dans une autre optique. Le fabricant de pneus français cherche en effet à tout prix à verdir son image. « C’est un objectif clair de la direction Michelin à Clermont-Ferrand. On a une activité industrielle qui, à court terme, doit être de plus en plus verte, pour les pneus, mais aussi pour le guide. » Ce qui se traduit, par exemple, par le lancement de nouvelles étoiles vertes, qui mettent en avant des tables qui travaillent avec des produits locaux, réduisent leur consommation énergétique, travaillent sur le recyclage… « Vous avez vu qu’il y a pas mal de Wallons qui ont été récompensés, comme L’Atelier de Bossimé, L’Air du Temps ou Hors-Champs. Vous voyez qu’on visite aussi la Wallonie… », sourit Werner Loens.

Si le prix du jeune chef de l’année a été remis cette année à une jeune femme, Manon Schenck, et qu’une cheffe thaïlandaise décroche un macaron (Dokkoon Kapueak au Boo Raan à Knokke), l’inspecteur du Michelin ne se dit pas vraiment attentif à ces questions de représentativité des femmes dans le monde très masculin de la haute cuisine. « On regarde un restaurant comme un consommateur normal; on ne se pose pas la question de savoir si c’est une femme dans la cuisine. C’est évidemment très bien de voir qu’il y a de plus en plus de femmes chefs, mais ce n’est pas quelque chose que l’on cherche spécialement… », confie M. Loens avec une franchise désarmante .